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Très cher MADIBA,

Permets moi de t’appeler ainsi car ce nom qui veut dire Eau dans une langue de mon pays, le Cameroun, me parle beaucoup.

La première fois que j’ai entendu parler de toi, j’étais une enfant en classe de Cours moyen 2 (dernière année de l’école primaire). Ma maitresse d’alors, Mme ESSOMBA, de l’école publique de Bastos, nous a longuement parlé de toi. Tu n’étais pas au programme scolaire, mais elle nous disait que les questions posées à l’examen nationale pouvaient aussi porter sur l’actualité. Bien que je ne parlais que 3 langues (Eton, Bassa et Français) à cette époque, l’émission de la Cameroon Radio and TeleVision intitulée « The World this week », présentée par la belle journaliste Anne Nkwain Nsang de regrettée mémoire, m’accrochait. Dans le générique, beaucoup d’images de toi, ton arrestation et les luttes de la population Sud-Africaine, avec en fond la musique de Yvonne Chaka Chaka. Ma maitresse, pour bien nous expliquer ce qu’était l’apartheid, nous l’a montrée comme étant une situation où un visiteur arrive chez nous à la maison, nous l’accueillons bien et lui, en retour, asservi toute notre maison (père, mère et enfants), puis notre quartier, notre village et notre pays, en nous interdisant d’accéder à ce qui nous revenait de droit jadis. Non contents de cette injustice, les pères et mères de toutes parts se lèvent pour y mettre fin. C’est ainsi que les familles choisissent une personne qui prendra les devants de la lutte, et cette personne en Afrique du Sud était toi, Madiba Mandela.

Moi la petite camerounaise qui avait regardé en pleurant le film Kunta Kinté, était infiniment révoltée, en colère, car l’apartheid était une histoire contemporaine.

Et puis vint le moment de la grande annonce sur les médias : tu allais être libéré, le 11 février 1990. Ce jour qui est la journée de célébration de la jeunesse au Cameroun, était un moment spécial. A la TV, on présentait le défilé des jeunes au Cameroun et on relayait ta sortie de prison, accompagnée de la musique de Sam Fan Thomas, dont le titre « Mandela », dénonçait ton arrestation. En moi je me disais, tous les pères et mères d’Afrique du Sud doivent être fiers de voir que leurs luttes ont connu une fin heureuse.

Je suis allée au Collège, et quelques années plus tard, les infos nous annonçaient que tu vas devenir président. Et là, je me suis dit : l’heure des comptes a sonné. La victime doit devenir le bourreau et venger tous les noirs du monde de l’esclavage, la colonisation, le génocide, le racisme, la discrimination, la ségrégation, l’apartheid, etc.

Ma déception

Lors de ton bref passage au Cameroun à l’occasion du sommet de l’Organisation de l’Unité Africaine en 1996, j’ai voulu sortir pour t’accueillir, te voir en vrai, puisque le domicile de mes parents est tout à côté du Palais des congrès de Yaoundé, lieu où se déroulait le sommet. Malheureusement, cela n’a pas été possible et je me disais, quand je serai grande, j’aurai les moyens de venir te voir sur place.

J’attendais de voir la vengeance, mais non, tu nous a posé sur la table, un autre discours : celui de la nation arc-en-ciel, l’acceptation de tous, l’Ubuntu. Le mythe que tu étais pour moi venait de tomber dans mon estime. Je ne t’admirais plus, je te soupçonnais de connivence avec ton bourreau. Je me disais, et si son rêve à lui Madiba était juste de devenir président, se remplir les poches et basta, passer en pertes et profits les douleurs de toutes les victimes d’Afrique du Sud ? Et j’ai observé à distance comment tu faisais de la politique. Je n’en savais pas grand-chose, mais ça me semblait acceptable.

Les retombées de ta notoriété

Et l’Afrique a accueilli pour la première fois, la coupe du monde, je me disais que tu y étais pour quelque chose dans cette décision inédite de la FIFA. Et comme le hasard sait faire ses choses, c’est une chanson camerounaise, reprise accidentellement (c’est mon sentiment) par une star Colombienne, qui sera la chanson officielle de ce grand Rendez-vous mondial en Afrique du Sud : Je parle de Waka Waka qui a repris des extraits d’une chanson du groupe Zangalewa. Qu’est-ce qu’elle a été belle, cette fête, même si tu paraissais bien fatigué.

Ton décès

Lorsque tu décèdes en 2013, je t’en veux toujours et voudrais venir à tes obsèques. Sans moyens financiers, je n’ai pas pu faire le déplacement, mais j’étais impressionnée par le nombre de personnalités du monde entier qui t’ont rendu hommage. A mon avis, tu le méritais amplement.

Notre réconciliation

En 2015, je viens pour la première fois en Afrique du Sud et mon contact avec mes frères Sud-africains, mes petites observations des uns et des autres, de l’environnement, … m’ont fait comprendre ton choix : tu as refusé le chaos. Oui je suis d’accord avec toi, cette vengeance aveugle que je voulais aurait pu entrainer le chaos en Afrique du Sud et en Afrique. Et là mon cœur s’est apaisé, j’ai réécouté tes discours sur la nation arc-en-ciel, sur l’Ubuntu et je me suis réconciliée avec toi. Je suis revenue plusieurs fois en Afrique du Sud, d’abord parce que c’est l’un des 05 pays (Afrique du sud, Nigeria, Kenya, USA et Corée du Sud) que je rêvais de visiter depuis que j’étais enfant. Et à chaque fois, je cherchais à me connecter avec toi, sans succès.

Notre connexion

En juillet 2022, pour la 6e fois, je suis revenue en Afrique du Sud et là, la connexion a eu lieu, grâce au PMI, une organisation dont la devise est « Good things happen when we get involve with PMI ». Mes frères du PMI South Africa, à l’occasion du Mandela day, nous ont organisé une activité sociale. En ta mémoire, nous avons planté des arbres et légumes (on nous a dit que c’est une cause qui te tenait à cœur), j’ai eu le privilège de dire une petite prière silencieuse pour toi en plantant mon 1er arbre, j’ai remué ta terre, j’ai arrosé et j’ai senti ta présence. Je t’ai vu nous observer dans un rayon de soleil, je me suis sentie utile et heureuse.

Le soir, nous sommes allés à Soweto, un lieu que je voulais tant visiter ! Nous sommes entrés dans l’une des tours et avons dégusté de la nourriture locale, un délice ! Mon meilleur repas depuis que je viens en Afrique du Sud. Nous y avons dansé des danses africaines et sommes rentrés avec des souvenirs incroyables. J’espère que j’aurai le privilège de me rendre sur ta tombe un jour et que j’échangerai avec ta descendance directe et tes compagnons de lutte.

Mon deuil

Ces activités m’ont permis enfin de te laisser partir. Oui aujourd’hui, je peux enfin dire que j’ai fait mon deuil, j’accepte de te laisser rejoindre nos aïeuls.

Repose en paix Madiba, et vive l’Afrique ! ✊🏾

ETEME MBOLO

Douala, le 23 Juillet 2022

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